Directeur artistique de l’Opéra de Marseille depuis 2009, Maurice Xiberras présente la saison 2014 -2015, éclectique et riche.

Il y a usé ses fonds de culottes, comme il le dit lui-même. Le lieu lui tient tant à cœur qu’il en est à la tête depuis la saison 2009 – 2010. Mais Maurice Xiberras œuvrait déjà pour l’Opéra Municipal de Marseille lorsque Renée Auphan, l’ancienne directrice générale, le fit venir à ses côtés dès 2001… Aujourd’hui, grâce à lui, la grande maison lyrique marseillaise grandit au fil des programmes. Le temps d’un podcast, Xiberras évoque et présente sa cuvée 2014-2015 éclectique et dense. Demandez le programme !

Cette année, c’est le 50e anniversaire de l’Orchestre Philharmonique de Marseille notamment…

Maurice Xiberras : Oui nous allons fêter en 2015 la création de l’orchestre. C’est vrai qu’il y a toujours eu une présence orchestrale à Marseille car l’Opéra de Marseille date de Mathusalem, et il y avait une société de concerts. Il y a une cinquantaine d’années, la ville a décidé de se munir d’un orchestre philharmonique qui comporte aujourd’hui 88 musiciens. Cet anniversaire est d’autant plus formidable pour nous que nous avons organisé une grande tournée, en Allemagne, en Chine, ainsi qu’un passage aux Chorégies d’Orange. Et puis d’autres projets arrivent !

Pour rester dans l’instrumental, un grand nombre de solistes est programmé cette saison, que ce soit Jean-Efflam Bavouzet, Boris Berezovski…

Oui il y a aussi Arabella Steinbacher, Andrei Korobeinikov, Alexander Knyazev… du beau linge ! Je fais en sorte que la saison soit toujours éclectique et j’essaie toujours qu’il y ait un pianiste, un violoniste, un violoncelliste, etc. Ce qui est important, c’est d’avoir quelques grands noms, car il ne faut pas oublier que lorsque nous faisons un concert à l’Opéra de Marseille c’est une jauge de 1800 places à remplir, et on n’attire pas les mouches avec du vinaigre ! Enfin, je me suis donné comme mission de faire jouer les solistes de l’orchestre comme concertistes. Le 10 janvier, par exemple, pour le concert anniversaire, Magali Demesse, notre alto solo va jouer le Concerto pour alto d’Henri Tomasi, Da-Min Kim notre violon super-soliste jouera le Deuxième concerto de Darius Milhaud et Alain Geng qui est clarinette solo le Concerto pour clarinette d’Herbert Willi. J’essaye d’instiller comme ça chaque année nos solistes dans la programmation symphonique…

Star toujours mais côté lyrique cette fois, le ténor Juan Diego Florez est attendu le 5 octobre…

Là, c’est certain, nous aurons carton plein ! Lorsqu’il est venu la dernière fois, il y a trois ans, sur un récital, nous avons même refusé du monde ! Il avait obtenu un accueil tellement chaleureux ! Il y avait une véritable ambiance de fête, c’était les arènes joyeuses. Il avait envie de revenir ! Donc le voilà à l’occasion de la sortie de son disque de chant français, L’Amour.

Éclectisme, vous l’avez dit, côté soliste mais aussi dans la programmation lyrique. Comment avez-vous construit cette saison 2014-2015 ?

Je vais dire un peu comme toutes les saisons. Il faut de grands piliers du répertoire, car nous avons un public qui aime les grandes voix lyriques, c’est une grande tradition lyrique marseillaise. Mais le but est aussi de lui faire découvrir des œuvres qui sont tombées dans l’oubli ou bien des œuvres que je considère moi devoir mettre au répertoire de l’Opéra de Marseille. Cette année il y a La Gioconda, L’Elixir d’Amour qui sont connus… Tosca, Le Vaisseau Fantôme, Falstaff… Mais à côté de ça j’ai tenu à ce qu’on présente un opéra en concert de Rossini qui n’a jamais été joué à Marseille, Moïse et Pharaon, dans la version française. Là, je me focalise sur la distribution étant donné qu’il n’y a pas de décor, de mise en scène : il y aura Ildar Abdrazakov, Mariella Devia, Annick Massis, Jean-François Lapointe… Et puis je présente en découverte Les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet. Nous coproduisons ces Caprices avec le CFPL (Centre Français de Promotion Lyrique) dirigé par Raymond Duffaut. Nous avons choisi de faire deux distributions. Nous les avons mises à concours ainsi que l’équipe de production. Ce qui donne du sens vraiment à tous ces chanteurs c’est de pouvoir avoir une cinquantaine de représentations…

L’Opéra sort de ses murs parfois… Huit opéras et onze grands concerts n’ont pas toujours lieu à l’Opéra mais parfois aussi au Silo et également à l’Auditorium du Pharo, à l’Eglise Saint-Michel…

Oui au niveau du symphonique plus que de l’opéra. Il y a aussi toute notre activité pédagogique à ne pas oublier. L’orchestre va faire une quinzaine de concerts dans les collèges, dans les prisons également, les maisons de retraites. La saison 2014-2015 et aussi les années à venir sont importantes car la ville a décidé de fusionner le Théâtre de l’Odéon avec l’Opéra de Marseille. Le Théâtre de l’Odéon qui est un théâtre de 800 places est un théâtre de divertissement consacré à l’opérette et au théâtre de boulevard. Ce sont des genres que nous allons développer. Pour moi ce sera formidable d’avoir accès à cette seconde salle parce que je compte faire découvrir de jeunes chanteurs, et monter des ouvrages que je pourrais faire tourner dans le département avec l’aide du Conseil Général qui est prêt à se lancer dans l’aventure.

La question toujours douloureuse quand on s’adresse à un programmateur/directeur : si vous aviez une ou deux programmations à extraire de cette programmation qui vous tiennent un peu plus à cœur…

Ahhhh… Disons qu’à cause de la curiosité ce serait Moïse et Pharaon, et pour la distribution, bien que ce soit en version concertante. Et puis Falstaff car c’est une distribution que j’aime bien qui vient de Monte-Carlo, une distribution éblouissante…

Vous avez pris la direction de l’opéra en 2009 même si vous étiez déjà dans les coulisses quelques années auparavant… Comment voyez-vous la situation évoluer à tous les niveaux ? Période de crise économique, époque où la musique classique est peu médiatisée voire de moins en moins… Quel regard portez-vous sur l’évolution du public, et comment vous-même, en tant qu’organisateur de cette programmation, vous devez agir ?

Vous avez mis le doigt dessus : c’est une période de crise. Il ne s’agit pas de réinventer l’opéra mais il faut essayer de l’imaginer de manière différente, pour savoir de quelle manière on peut baisser les coûts. « Rentabiliser » est le grand mot mais il est utopique car l’on ne parviendra jamais à rentabiliser un opéra, à moins de mettre le prix des places à 1500 euros, ce qui est hors de question car le maire de Marseille tient à ce que cela reste un opéra authentiquement populaire et le prix des places est TRES abordable : ce sont les places les moins chères de France ! Mais cela implique de faire des co-productions, des co-réalisations, de faire peut-être des budgets plus légers, et aussi d’essayer d’utiliser la captation de l’opéra (nous avons par le passé capté Marius et Fanny avec Roberto Alagna, là nous avons Colomba qui est une création contemporaine de Jean-Claude Petit qui a été captée par France 3 et qui passera en novembre sur le réseau national). Mettre l’opéra au sein de la cité, c’est le remettre au présent. Je pense que les concerts hors-les-murs, la pédagogie, tout ce travail dans les quartiers nord, le développement d’un nouveau public, permettront de sauver l’opéra. Il faut enlever l’aspect élitiste de l’image qu’à l’opéra ! Les années qui vont suivre vont être dures, car la crise est toujours là. Bien entendu c’est la culture qui trinque en premier. L’Etat est en train de se désengager de tous côtés. Nous venons d’apprendre la mort du CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle des Artistes Lyriques) par exemple, basé à Marseille depuis trente ans. Les grandes inconnues sont : qu’est-ce qui va se passer avec la réforme des collectivités, avec la réforme des métropoles ?

Le mécénat pourrait-il aider ?

Oui mais cela a ses limites. Le mécénat n’est pas dans notre culture et il se portera plutôt vers des salles plus prestigieuses comme l’Opéra Garnier ou l’Opéra Bastille, plutôt que des opéras de provinces. On trouvera des sponsors, de plus petits mécènes, mais jamais assez pour nous permettre d’assurer des saisons, d’avoir un autofinancement.

Le site de l’Opéra de Marseille